• La juste place du profit /UJCE

    Un point de vue de Pierre Deschamps, président des Entrepreneurs et Dirigeants Chrétiens, dans Valeurs Actuelles

    Lorsqu’un Président de la République, considéré comme un vrai libéral, proclame à la télévision que "le capitalisme marche sur la tête et qu’on a donné la prime aux spéculateurs au détriment des entrepreneurs", il est légitime de s’interroger sur la véritable finalité de l’économie en général et des entreprises en particulier. Il est incontestable que le capitalisme a permis des progrès matériels considérables dans les pays occidentaux, progrès qui deviennent désormais accessibles à de nouveaux pays. Et, pourtant, le modèle capitaliste continue de creuser l’écart entre les plus riches et les plus pauvres, engendre un stress croissant chez les salariés et, parfois, s’emballe comme avec la crise des subprimes ou le scandale de la Société Générale. Les Etats tentent de corriger les dérives du système en édictant des lois de régulation et de redistribution, tandis que des institutions internationales tentent de limiter risques et abus, spécialement dans la sphère financière. Ces initiatives sont méritoires mais se révèlent manifestement insuffisantes.

    Certains promeuvent des modèles alternatifs, tels l’entrepreneuriat social ou le social business décrit par Muhammad Yunus dans Vers un nouveau capitalisme (JC Lattès). Mais ces modèles, adaptés à des situations particulières, ne peuvent être généralisés à cause de l’absence de valorisation des entreprises, interdisant les rapprochements et les acquisitions. En effet, la valorisation des entreprises constitue le moteur principal des investisseurs, mais, quand elle dérape, elle devient alors la cause principale de tous les excès.

    Grâce à la responsabilité sociale des entreprises (RSE), beaucoup de dirigeants prennent maintenant en compte les dimensions sociale et environnementale de leurs décisions, à côté de la dimension économique, qui leur est spontanément familière. Comme l’écrit Muhammad Yunus, on observe deux attitudes face à la RSE : l’attitude minimaliste consistant « à ne pas nuire aux personnes ou à la planète », et l’attitude constructive visant à « faire du bien aux hommes et à la terre ». Mais, après plusieurs années d’implication positive de beaucoup d’entreprises dans la RSE, on ne peut que constater la timidité des progrès réalisés.

    C’est la raison pour laquelle l’Uniapac, l’Union internationales des associations de dirigeants chrétiens, qui réunit les mouvements de chefs d’entreprise chrétiens de 30 pays, s’est engagée dans un travail de reformulation des principes de la RSE en les orientant au service de l’homme. Après une année d’échanges, ce travail a abouti à un ouvrage, la Valeur des valeurs (Uniapac, 2008, www.uniapac.org), qui traduit l’approche chrétienne de la RSE dans un contexte international.
      
    En parallèle de la RSE, on a vu se développer les chartes d’entreprises pour définir les principes éthiques que chaque collaborateur s’engage à respecter. Cet exercice a souvent trouvé ses limites dans une éthique qui se contente de rappeler qu’il faut respecter la loi – loi juridique ou loi naturelle. Rappelons que l’éthique consiste à distinguer le bien et le mal : heureusement que chacun est invité à faire le bien et à ne pas faire le mal ! Mieux vaudrait concevoir et rédiger des chartes "d’équité", qui auraient pour objectif la prise de décisions équitables, plus engageantes que des décisions éthiques.

    Alors, que manque-t-il à toutes ces initiatives pour remettre le capitalisme d’aplomb et pour qu’il ne marche plus sur la tête ? La RSE, en anglais, se résume aux trois P : Profit, People, Planet. Vouloir préserver la planète pour les générations futures revient, là aussi, à mettre l’homme au centre des choix. Toute entreprise a donc deux finalités : une finalité financière (Profit) et une finalité sociétale (People et Planet). Or, la finalité financière ne concerne qu’une infime minorité de personnes, qui peuvent être tentées d’utiliser les autres pour servir leurs intérêts. La finalité sociétale s’applique à tous. Dès lors, la question décisive est de déterminer la hiérarchie de ces deux finalités. La réponse actuelle de tous les chefs d’entreprise, y compris les partisans de la RSE et des chartes éthiques, est d’affirmer haut et fort que la finalité financière est au premier rang.
    Et si nous inversions ces deux priorités ? La finalité de chaque entreprise résiderait dans son projet sociétal, le profit constituant un levier au service de ce projet, et un facteur de viabilité, de pérennité et,in fine, d’indépendance. Il ne s’agit pas de renoncer au profit, qui demeure indispensable au développement des entreprises. Il s’agit de le positionner à sa juste place, qui est celle d’une condition et non d’un objectif. Le capitalisme pourra alors être au service des hommes, et non pas les hommes à son service.



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